Bleu Bergère, livre mémoires Charbonnier 1

"BLEU-BERGERE"



Pierre, Annette et Gustave

            Insomnie = broyer du rouge, mais surtout enlacer-embrasser l’océan parfumé des souvenirs.

            J’ai eu deux pères : Pierre d’abord, puis Gustave, puis re-Pierre puis re-Gustave et encore Pierre. Ils ont plu à ma mère, l’un parce qu’il était séduisant, désinvolte et « artiste », l’autre parce qu’il était sérieux, silencieux, carré, mais enfant, un peu maladroit. Tous deux aimaient rire, mais pas des mêmes choses.

            Pierre a apporté à ma mère ce qu’elle a apporté à Gustave. Pierre, le Viennois, aimait le Cornas, le Pernod, la « charmante » tomme, et fumait des petites pipes de foire, en terre, légères et jolies. Gustave, le Lyonnais, buvait énormément d’eau, exclusivement, il s’évanouissait chez Androuet,  et notre valet de chambre ne fumait pas ses cigares, faute de.

Histoire des vacances et bains de mer 2

82 by Jean Philippe Charbonnier
82, a photo by Jean Philippe Charbonnier on Flickr.


INTRODUCTION A BLEU BERGERE, A CUFF-LINKS SAGA

Au milieu du XIXème siècle, la « Bonne société », que l’on n’appelait pas encore les « happy few », mais sûrement déjà les « U » (=upper class, par opposition aux « non-U »…), éprouva le besoin de « bouger », de villégiaturer au delà de Chantilly et de Chatou. 

Histoire Chamonix, mémoires Charbonnier 3


18 heures 23, le 8 août 1786, le docteur Michel Paccard, de Chamonix, et le cristallier Jacques Balmat, réussissent, seuls, la première ascension du Mont Blanc. Viendront ensuite le scientifique genevois, Horace-Bénédict de Saussure, Joseph-Marie Simond, le Mont Blanc en solitaire avec juste un quignon de pain et une demi bouteille d’eau de vie…

Peintres Etretat au temps de Lindbergh 4

1825 : Charles Mozin, jeune et délicat peintre-paysagiste, trouve à Trouville, village de marins-pêcheurs, « sa terre promise…loin du monde et des distractions ». Il expose à Paris, grand succès et déferlement de peintres et écrivains cotés : Isabey, Boudin, Courbet, Corot, Monet, Flaubert, Dumas et Proust !

Parallèlement, en 1830, arrive la mode des bains de mer. Le scénario deviendra partout habituel: Poste, Gare, Casino et belles villas. Et à Trouville ça marche toujours, douze mois par an.


Histoire de Deauville: casino et VIP, 5

1853 : Me.Durand-Morimbeau, avocat parisien, ébloui à 4 heures du matin (!), par la plage de Cabourg, décide d’y créer la « Reine des plages ».

Sissi l' impératrice à Sassetot-le-Mauconduit 6


Avant 1875, les PETITES DALLES ne sont qu’une prévisible, mais charmante plage de galets de plus, entre Fécamp et Saint Valery en Caux. Pêcheurs, naturellement, et quelques hardis baigneurs. Il y a un hôtel, un Casino (en bois), et de nombreuses cocasses villas, appelées « châlets » dans le style tarabiscochic du palais usine de la « Bénédictine », à Fécamp (à voir absolument). 

Origine de St Tropez et ses artistes 7

Jusqu’au milieu du XIXème siècle, le dynamisme tropézien s’exerça dans le commerce en Méditerranée, dans les chantiers navals, la pêche, l’agriculture. Le plus illustre Tropézien est Pierre-André de Suffren (1729-1788), vice-amiral de France, « Gouverneur » de Saint Tropez.


Histoire du ski: Mégève, Allais, Couttet 8

 Jusqu’en 1914, l’activité de Mégève est à 70% agricole. Le village compte trois hôtels pour un tourisme estival essentiellement climatique-promenade. Mais en 1913, l’hôtel du Mont Blanc s’est judicieusement doté d’un chauffage central ce qui permet et enclenche l’irréversible processus des vacances de neige. Le ski à peaux de phoque se pratique sur les pentes du mont d'Arbois.

Café du Flore et Brasseries Lipp, 9


CUFF-LINKS N°1

Aussitôt que l’on prend le risque délicieux de s’enfoncer dans l’enfance, on tombe rapidement sur l’amusante question, à la réponse sans fin, trou noir céleste où les parallèles se rejoignent, dit-on, à l’infini, fruit défendu, QUESTION : « LA RAISON POURQUOI ? »

Histoire de l'ouvrier devenu patron 10 Mémoires

Tel Jean-Jacques Gauthier et son épatant livre, « Histoire d’un fait divers », je dis que si vous frappez à n’importe quelle porte, à n’importe quel étage de n’importe quel immeuble et que vous demandiez gentiment à la dame, au monsieur qui vous ouvrent de vous raconter leur vie, comme ça, pas pour la Télé, ni pour la Radio, POUR RIEN « …mais pourquoi, pourquoi nous ?

Atelier Pierre Charbonnier et side-car 11

En 1922 mes parents descendirent dans le Midi dans une Harley-Davidson achetée aux vieux surplus militaires américains. C’était le célèbre modèle « First War », 16CV, bicylindre en V, 988,83 cm3, qui pouvait atteindre 100 km à l’heure !

Leçon de grec, Charles Trenet et le jazz 12

On m’a forcé à apprendre CE grec, qui a failli me coûter l’obtention de l’horrible épouvantail appelé baccalauréat, lequel a gâché ma jeunesse et développé en moi une incurable angoisse, surajoutée à une sorte de « judische angst » slave.

Muse de la musique et cours de piano 13

Pourquoi ne m'a-t-on pas appris le piano? Parce que mon Père, doué pour tout, avait appris tout seul, même l'accordéon, que ma Mère et mon cher beau'père n'avaient pas l'oreille musicale, et que sans bac, etc etc. J'en suis malade, chaque jour et il me vient à l'esprit cette sorte de triste parabole. 

Pierre Charbonnier, la Fortune enchantée 14

photo du film Fortune Enchantée de Pierre Charbonnier
  

Pierre Charbonnier, peintre et décorateur de cinéma (films de Robert Bresson), a réalisé un court-métrage d'animation, en 1936. Parmi d'autres films, il a été restauré et édité en DVD par le Centre national de la cinématographie. Le personnage féminin de "La Fortune enchantée" figure en couverture du catalogue.


Certes, mon père eut, comme première voiture une Ford Model T, sympathique phaéton élastique, robuste, facile à conduire (même par une femme, disait la publicité...) et bon marché (290$). Avec ses 4 cylindres, ses 2892 cm3, ses 2 vitesses + marche AR, elle atteignait 80 km/h. 

Vieilles pubs, US cars, décolonisation 15

J'adore les vieux slogans américains pour les automobiles: "Be happier in a Nash!", "Another Nash" (voir plus haut), ""Better buy a Buick", "Packard, ask the man who owns one", "Have you driven a Chrysler, lately", "There is a Ford in your future", "Dollar for dollar, you can't beat a Pontiac".

St Tropez, Pierre Charbonnier, Mémoires 16


Mais la niaiserie, soudain, de charmante devient inquiétante: 1939-1940: "Nous vaincrons par ce que nous sommes les plus forts", "La route du fer est barrée", "On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried"

Rosine Déréan, St Tropez et la guerre 17


Abandonnant mes grand'parents dans leur villa de Sainte-Maxime, mes parents vinrent s'installer dans ce village ravissant, au port très animé, déjà adopté depuis vingt-cinq ans par des artistes enthousiastes,

Café Passy, alcool,16ème arrondissement,18

Un bistrot bête, de la place Chopin, bête, à une heure très très bête, celle où les solitaires s'accrochent à des derniers "pour la route" et au zinc et au patron qui essuie les verres et qui les écoute, ou fait semblant, parce que c'est tous les soirs pareil et qu'il aimerait bien aller se coucher. 

Cocteau, Radiguet, Man Ray, à Paris 19


10 by Jean Philippe Charbonnier

Panthéon et toits de Paris 5ème


Comme il était partout où il fallait être, mais, le plus souvent avant tout le monde, il y avait aussi naturellement Jean Cocteau, accompagné de Raymond Radiguet. Ils habitaient alors, rue d'Anjou, chez la mère de Cocteau dans ce vieil immeuble où l'ascenseur, disait-il..."datait d'avant l'invention des ascenseurs".

Cravates, Jean Nohain, Cocteau et Crevel 20

Oui mais, malgré ou plutôt à cause des guerres, des exodes, des abandons, des changements de vie, ne m'ont jamais quitté, ont toujours été protégés, tous mes vieux 78 tours, et, voyez-vous, mes cravates. J'y tenais, seules possessions d'enfant, et j'y tiens toujours, comme les jeunes filles gardent leurs vieilles poupées râpées, chauves, désarticulées, mais chéries.

Revue Blanche, Tristan Bernard, mémoires 21

les grands parents maternels de Jean-Philippe Charbonnier
Marthe Mellot (2ème en haut) et son mari Alfred Natanson (1er devant): grands parents maternels 

Mes grands'parents avaient des amis formidables, dont certains étaient encore fort peu connus. En ce temps-là on avait des vrais amis, et passionnants. A l'époque de la "Revue Blanche", revue d'avant-garde fondée en 1891 par trois des quatre frères Natanson (Alexandre, Thadée et Alfred, mon grand'père), ils s'appelaient Henri de Toulouse-Lautrec, Bonnard, Vuillard, Renoir, Jules Renard, Seurat, Proust, Valery, Gide, Mallarmé, Vallotton, Félix Fénéon, Mirbeau, puis Sacha Guitry, Ambroise Vollard, Léon Blum, Tristan Bernard, et jusqu'à Georges Carpentier et sa petite auto doublée de velours à fleurettes. 

Les artistes du Café du Flore 22

Mes parents avaient donc, eux aussi, des amis formidables, intéressants. Max Jacob ressemblait à la fois à Chiappe, le Préfet de Police corse, qui ouvrit la voie aux gardiens de prison, aux flics et aux souteneurs insulaires, aujourd'hui évincés par le Maghreb et l'Afrique et à Victor Basch, le fondateur de la Ligue des Droits de l'Homme. Max Jacob, le poète, me faisait Guignol, Boulevard Malesherbes chez ce même grand'père.

Robert Bresson, Jacques Viot, Sam Lévin 23

Elle était grande et très jolie, et Coco Chanel la prit comme mannequin. Troublante, comme un peu folle, elle fut justement la femme de deux peintres bien différents: Max Ernst, très très clean, qui l'enleva, mineure, et Soutine beaucoup beaucoup moins (clean), ultérieurement phagocyté, pour son bien, par Madeleine Castaing.

Surréalisme, Max Ernst et ses femmes 24

Des amis étonnants. Oui, comme on n'en fait plus. Bébé Bérard en costume croisé très sale, laissait son Westie trottiner en liberté, dans de distingués salons, et ramassait une à une, à la main, avec ses ongles noirs, les crottes du chien qu'il mettait tranquillement dans les poches de son veston.

Mémoires Charbonnier histoire Côte d'Azur 25

Aussi et ainsi apprécierai-je pleinement, longtemps après, une phrase historique prononcée à mon intention par un homme que je ne connaissais, lui aussi, que par le tableau de Max Ernst, décrit plus haut, Philippe Soupault. Lors de mon arrivée à Brazzaville en 1951, il me lança, du haut du perron de l'hôtel des Fonctionnaires où il m'attendait: "Doctor Livingstone, I presume ?"

Peintres amateurs et photo de vacances 26

Ces "autres gens" passent d'autres vacances, meilleures peut-être car 100 pour 100. Ils se marrent plus au camping, ou dans leur "location" où ils marchent les pieds nus pleins de sable; sur la plage, dans le sac de couchage où ils baisent avec leur copine, et où ils voient se lever le jour du Bon Dieu sur leurs corps rassasiés et nus dans le bain salé miraculeux de l'aube tiède.

Ancien St Tropez, café de la Côte d' Azur 27


En ce temps-là, Saint Tropez, comme Mégève, était paisible et gai. Les gens du pays accueillaient généreusement les artistes, avec une curiosité sympathique; et les artistes, par la force des choses, et sans chercher à se déguiser, s'habillaient comme eux, bouffaient comme eux, se saoulaient la gueule au Pastis - souvent fait maison, avec eux, sans se faire prier, et ils épousaient des filles du pays; mais parfois les jeunes enjôleurs, qui dansaient la valse à l'envers leurs piquaient leurs femmes, pour un jour, ou pour toujours. Ma foi. Et puis ça s'est su. 

Mémoires Charbonnier: anecdote Bleu Bergère 28

Un jour, nous y voilà, Papa m'emmène chez un ami, Louis Durey, un compositeur du Groupe de Six (Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc Auric et Germaine Tailleferre). Il habitait en haut de Saint-Tropez, une vieille maison avec terrasse ombragée, comme la nôtre. J'avais deux ans. Je trottinais. J'inventais des "formules", par exemple la couleur "Bleu Bergère";

Marthe Mellot, grand-mère comédienne "sans profession" 29

Dans les années Trente mon grand'Père maternel louait, chaque été une villa à Saint Tropez. On expédiait le linge dans une malle en osier, genre femme coupée en morceaux et nous descendions, ma grand-Mère, ma tante et moi par le train de nuit.

Vacances avec Annette Vaillant, Gisèle, 30

Ce charmant petit train à voie étroite, pas pressé, nous bringuebalait le long de la côte, entre la route et les maisons. Il passait, après La Foux, devant l'usine de torpilles; un nain, genre Piéral, y travaillait; on le voyait souvent sur le port, à l'heure de l'apéritif; il me faisait un peu peur, il était sarcastique, ne souriait jamais, comme Piéral.

Sam Lévin à Toulon et Gisèle 31

Je l'ai revue, en 1941. Elle était entrée par hasard dans le magasin-studio de photo que Sam Lévin avait repris à Toulon, avenue Colbert, attirée par les super portraits d'artistes célèbres, exposés dans la vitrine: Jouvet, Gabin, Michèle Morgan.

Ford, General Motors, Cohen et la guerre, 32

Hier zago, avant qu'elles ne soient investies par des boat-people incompréhensibles et sans gêne, vendeurs de minces T-shirts imbéciles de provenance indéterminable, il y avait sous les arcades de la rue de Rivoli, du côté de Washington Tremlett, une petite boutique, J.C.d'Ahetze, shirt-maker. le nom, si chic, à quinze ans, me plaisait.

Ford et General Motors: usine et guerre 33

Herr Hitler n'avait-il pas, au mur de son bureau, le portrait d'Henry Ford dont il admirait l'efficacité et appréciait les propos antisémites...
( International Herald Tribune, 3/12/1998 )

Toulon souvenir: Bazar des mécaniciens, 34


Avant la guerre, un petit garçon comme il faut, pour aller en visite, portait, sous son veston croisé, et avec ses culottes courtes, une cravate régate nouée sur une chemise à boutons de manchettes. Il avait horreur de ça, je le sais, j'y étais.

Les anciennes quincailleries de Paris, 35

Dans le genre magasin extraordinaire, feu la "Quincaillerie centrale" de la rue des Martyrs, où l'on trouvait "de tout" dans ce qui se plante, qui se visse, qui s'accroche, et où les commandes se baladaient au plafond dans des petites bennes, de service de téléphérique nain.

Bombardements à Toulon pendant la guerre 36

Ce fut mon premier voyage en aéroplane: bi-moteur Bloch 220 d'Air France, 16 fauteuils d'osier, altimètre, compteur de vitesse en cabine, Le Bourget - Londres à 280kmh, 70 minutes!

Toulon: reconstruction après guerre 37

J'avais vu et apprécié la parfaite reconstruction, à l'identique, jusque dans les couleurs, du port de Saint Tropez, écrabouillé, car aux premières loges du débarquement, entre Saint Raphaël et le Cap. Camarat. Retournant à Toulon en 1967, je fus saisi d'horreur ! Quel était le Maire irresponsable, l'architecte nullissime et même pas fou qui avaient, ensemble, osé cette ignominie. 

Mon père peintre: Bauhaus et Canaletto 38

CUFF-LINKS N°2

Papa m'offrit, lui aussi, une paire de boutons de manchettes en cuir, ronds et joufflus, sans aucune raison particulière, lui qui n'en portait jamais. C'étaient ces petits objets qui l'avaient séduit, et non leur éventuelle utilité. Mon Père adorait les objets, les objets utiles dont il savait se servir, marteau, tenailles, scie, et pinceaux; et en particulier la scie égoïne, avec son nez allongé de malarmat (ou péristéthion, poisson très comique, au dessin psychédélique, pas très avenant). 

Docteur Leboyer: éducation et voyage 39

CUFF LINKS N°3

En 1938, Annette, ma Mère, et Gustave partirent pour l'Extrême-Orient. Il n'était pas question de m'emmener; ils m'avaient déjà fait le coup en 1935 avec la Pologne. Mon opinion n'ayant jamais varié, je me cite moi-même, écrivant en 1992, dans "Chamonix, 40 ans dans la vallée" (Editions Glénat), ce qui suit:

René Guetta, jazz et "bal nègre" 40

Le samedi soir donc, j'écoutais à la radio René Guetta - et ses aubes bleues... - présenter l'orchestre de jazz de Willie Lewis. 

L'indicatif, "Just a mood", était joué au piano par le remarquable Hermann Chittison - n'est-ce pas Eddie Barclay ? - Willie Lewis jouait au "Florence", une boîte de nuit devant laquelle je passais chaque matin du temps du Lycée Condorcet. 

Poète Robert Desnos: "la Clef des Songes" 41


Toujours à la radio, Robert Desnos et Jérôme Arnaud, eux, faisaient "La Clef des Songes": des acteurs jouaient des rêves envoyés par des auditeurs, que Desnos, ensuite, traduisait. Robert Desnos, encore un copain de Papa, avec des poches noires sous ses gros yeux. J'étais allé le voir, fin 1939, à Radio-Luxembourg, pour lui proposer l'idée d'un jeu radiophonique basé sur des sons et bruits plus ou moins familiers qu'il fallait reconnaître: l'oeuf au plat qui grésille, le pneu qui se vide par la salve, la gifle, mais pas la chasse d'eau !

Mémoires Charbonnier : Pologne 42

Oui, si mes parents m'avaient emmené en Pologne, quelle expérience, pour un garçon de quinze ans, pas trop abruti et qui s'emmerdait au lycée, quelle façon directe, moderne d'apprendre la géographie, de faire de la sociologie vivante avec des vrais personnes, pas des livres. Je n'ai jamais parlé de cela au silencieux Maurice Halbwachs, le prof de socio chez qui on m'avait casé; je suis sûr, aujourd'hui, qu'il m'aurait donné raison. 

Travailleuses et domestiques, Marguerite 43

Monsieur Pilou, comme disait Eugène, le vieux maître d'hôtel intermittent, Savoyard de Pontcharra, ruiné par le P.M.U., avait repris du service; Monsieur Pilou, donc, en plus de ce septuagénaire remarquable qui n'arrêtait pas d'essuyer une poussière invisible, disposait également de Marguerite.

Mémoires Charbonnier: histoire aviation, Gustave Moutet 44

"Ils" partirent donc pour Saïgon. Gustave allait mettre en place la première ligne régulière France-Indochine, d'Air France, et rencontrer quelques bons Chinois, aux prises avec leurs communistes et leurs gentils agresseurs japonais.

Famille Tchang-Kaï-Chek, 1955 en Chine, 45

68 by Jean Philippe Charbonnier

Un jour j'acheterai, second-hand, "Air Force One". Je le ferai peindre en bleu très clair, avec des petits nuages, comme les plafonds des églises baroques, et des anges joufflus, et des oiseaux; il aura l'air découpé dans un morceau de ciel de Magritte.

Kissinger et Mao, capitalisme en Chine 46

Les Etats-Unis ne pouvaient ignorer éternellement que l'eau bouillait à 100 degrés. Grâce à la fraternisation sportive euphorisante de la période "ping-pong" ils purent enfin, en 1972, reconnaître, sans perdre la face, l'existence d'un milliard de Chinois tout rouges et aussi tout bleus.

Mémoires Charbonnier Chine, journalisme 47

Aujourd'hui, 1 milliard 350 millions de Chinois ce n'est pas du tout, comme le tonitruait un candidat à la reélection législative qui avait passé 10 minutes en Chine dans l'attaché-case d'un sous-ministre, ce n'est pas 1 milliard 350 millions de clients, c'est 1 milliard 350 millions de fournisseurs.

Lycée Condorcet: anciens élèves, profs illustres, 48

CUFF-LINKS N°3 ( Suite et fin )

En 1938, donc, j'étais seul à Paris, sans parents avec juste mes "gens". Je faisais mon devoir, c'est-à-dire mes devoirs d'un derrière distrait et apprenais, prudent, mes leçons, comme un volatile psittacidé imbécile et ennuyé, de telle sorte qu'aujourd'hui, je n'ai eu le temps de RIEN LIRE et n'ai rien retenu de ces soit-disant indispensables pensums, sans l'ingurgitation desquels on n'a pas son bachot, du verbe bachoter.

Chirurgien Leibovici, Omaha Beach, amant 49

Frédéric Rossif (Animaux, Télé, Nüremberg), né à Cetinje, au Montenegro, le 14 août 1922, engagé dans la Légion Etrangère, avait, après Monte Cassino et la campagne d'Italie, débarqué en Provence le 15 août 1944 avec la 1ère Armée du Général de Lattre de Tassigny. Lorsqu'il voulut, ultérieurement, se faire naturaliser Français - ces Monténégrins ne doutent de rien ! - un autre concierge gardien de l'espèce, lui répondit qu'il n'avait aucun papier valable et que, de surcroît, il était entré en France CLANDESTINEMENT ! Il est mort, reconnu, à Paris en 1990.

Capote militaire de Pierre Charbonnier

CUFF-LINKS n°4

En 1916, Pierre, mon Père avait 19 ans. Son frère aîné, Louis était à la guerre. Bien que mon Père portât des éperons de cavalier sur ses chaussures de ville pour agacer son Père, il était d'un pacifisme banal mais se sentit obligé de s'engager. Comme Louis, il fut versé dans la cavalerie, re-éperons.

Mémoires Charbonnier Guerre 39-45, uniforme 51

3 SEPTEMBRE 1939 - 17 HEURES

On a les guerres que l'on mérite. Merci aux lâches de septembre 1938, à Münich.

Le 3 septembre 1939, la Grande-Bretagne, puis la France, déclarent la guerre à ces toujours mêmes Allemands. Frémissements patriotiques, mobilisation générale, mêlée cependant de résignation, Actualités Pathé à la gare des Guerres, la Gare de l'Est.

Crainte rétrospective du 2 septembre 1870 à Sedan, ou prémonitoire du 13 mai 1940...à Sedan ou de la Grosse Bertha, bien vieillie, bombardant à nouveau l'Eglise Saint-Gervais à Paris, comme en 1918, distribution massive de bien seyants masques à gaz, abris et sacs de sables entortillant l'Obélisque, papier gommé sur les vitrines, écoliers et chefs-d'oeuvre du Louvre évacués en hâte vers la province, incitation de la Défense passive à "quitter Paris sans délai" par les "trains d'éloignement", il n'en fallut pas plus pour que des parents raisonnables m'expédient à la campagne - j'ai toujours eu HORREUR de la campagne ! - où je pourrai "réviser" et préparer sereinement le pas encore "mon" bac de philo.

Mémoires Charbonnier: premiers émois 52

Bandol. Août 1941. Un beau cadeau pour un beau cadeau.

Sollicitée par un ancien jeune amant, séducteur et farceur, Guy Kisling, Christiane, 28 ans, curieuse et amusée, avait accepté gentiment de me faire, en se jouant, le plus beau cadeau de mes vingt ans. 

Mémoires Charbonnier: lettre de remerciement 53

Quand on fait l'amour, très bien, violemment - je déteste cette expression "faire l'amour", niaise et qui se veut précieuse - il arrive un moment où l'on perd conscience de tout, on ne sait plus très bien qui est qui, d'autant que 1+1=1. On n'a pas à aimer l'autre, on aime l'amour, c'est tout. Si j'avais découvert cela plus tôt, j'aurais abordé mes amours sans inquiétudes. Et je pense bien plus souvent à l'amoureuse des nuits câlines qu'à Lady "First Time". Est-ce injuste?

Général et cousin Mellot, Sainte Gemme 54


Ma mère sait tout, elle est une forêt d'arbres généalogiques; ses souvenirs, d'une folle précision à travers le temps, surgissent comme des ludions spontanés. C'est ainsi qu'en 1995, elle me dit tranquillement, au milieu d'une conversation sans aucune connotation historique, qu'à la guerre de 14, il n'y avait eu qu'un seul Général mort à l'ennemi, un Anselin, un membre de notre famille, un cousin, puisque marié à Louise, cousine germaine de ma grand'Mère Mellot, qu'il avait été Directeur de l'Ecole de Cavalerie... 

Mon Dieu, Mon Dieu ! (Ma Mère, ce qui n'avait qu'un très relatif intérêt anecdotique et mondain, me dit également que le Général et son frère André avaient épousé deux soeurs (Louise et Marie) et que Georges, le fils du Général l'avait emmenée au Concours Hippique en 1913, mais je ne l'écoutais déjà plus).

Colonel Flick et le Maroc colonial 55

Ici commence l'histoire d'un héros.

Ernest, François, Amédée Anselin naquit le 16 janvier 1861 à Chambon-sur-Voueize (Creuse), près d'Aubusson. Militaire capricorne, il fut Directeur de l'Ecole de Cavalerie de Saumur, puis Sous-Directeur de la Cavalerie française au Ministère de la Guerre.

Guerre 14-18: fort de Douaumont, Verdun 56

1916. Ernest, François, Amédée Anselin est maintenant Général. Comme tous les Officiers supérieurs affectés à Paris, en vertu du système du "tourniquet", il doit quitter le Ministère de la Guerre et aller au front. La cavalerie qui est son arme naturelle, n'ayant guère à faire dans la bataille de Verdun, en particulier à Douaumont, il reçoit le commandement de la 214 ème Brigade d'Infanterie, de Chasseurs à pied.

Memoires Charbonnier: Picasso, Poilus, Hugo 57

A 15 heures, le Fort de Douaumont fut repris par les Tirailleurs Marocains. Merci Général Lyautey, Lieutenant-Colonel Flick. Après qu'ils se soient battus contre nous, ces remarquables et farouches guerriers-nés ont, grâce à vous, choisi, après le Moyen-Orient, de se battre, pour un temps, à nos côtés, en soldats, sur une terre inconnue et inhospitalière, nous apportant la plus désirée des victoires. La terre de leurs ancêtres les Gaulois !

Soldat inconnu, Douaumont, Anselin, Verdun 58

La "Victoire en chantant...sachons vaincre ou sachons mourir!"
...Si la République vous appelle, pour un nouveau gâchis, une nouvelle boucherie criminelle, faîtes le mort !

Mausolée Lénine et Staline, police 59

CUFFLINK 5

1955. Premier voyage à Moscou. Boulganine et Khrouchtchev successeurs. PE-NIBLE ! Même, et surtout pour Louba, ma gentille et mignonne guide indigène. Elle m'aidait efficacement à me soustraire aux flics lourdingues, instantanément repérables  à leurs airs gris de figurants pour parodie de "James Bond", et à leur façon oblique de s'engouffrer à deux, identiques, Dupon-Duponovitch chapeautés de feutres sombres, dans un taxi qui suivrait le mien. 

Voyage à Moscou, Aragon au restaurant 60

A Pékin, je n'avais pu refuser à ma consciencieuse guidesse toutanbleu, délibérément sans attrait aucun, l'aumône timidement suggérée, d'un bain chaud dans ma salle de bains. Mais chère Louba, malgré mon offre amicale et romantique, d'une baignoire bouillante débordant de mousses hollywoodiennes ne pouvait accepter, car à chaque étage de l'Hôtel Metropol, une cerbère moustachue, style Mrs Nikita K., faisait en permanence ses gros yeux "niet, niet", empêchant toute visite.

Histoire du journal Libération 61

Mais surtout, de 1948 à 1949, j'avais du supporter la dictature professionnelle des "progressistes", communistes de salon qui n'osent pas dire leur nom. Les barbares de "Franc-Tireur", journal para-communiste issu de la Résistance, s'étaient emparés du libéral "Libération", grand journal de la Résistance et de l'après-guerre où je débutais dans le journalisme (Carte de Presse N°533).

Aristocratie à Grenade, Espagne 62

CUFFLINKS 6

Octobre 1950. Château de Vinuelas, près de Madrid. Dans une de ses immenses propriétés, quasi désertique faute de pluie, le Duc Del Infantado, huit fois Grand d'Espagne, déambule, un panier de carottes à la main qu'il distribue à ses lapins sauvages affamés et déshydratés. Il possède en tout 17.171 hectares où il fait élevage, culture, forêt, vigne et irrigation. Plus quelques châteaux et palais. Il est amiral d'Aragon, deux fois duc, cinq fois comte et sept fois marquis !

Frères Natanson et Pologne, mémoires 63

CUFFLINKS 7

Annette et Adam Natanson, mes arrière grands-parents polonais eurent quatre fils: Alexandre, Thadée, Léon et Alfred, mon grand-père maternel. A Varsovie, la maison de famille était une banque.

Mémoires Charbonnier: 1er cambriolage non élucidé 64

Lundi 21 mars 1994, T.G.V. 928, 23 heures 09, Gare de Lyon. Je rentre de ma chère Vallée, de mon cher village d'Argentière  (74400) où j'ai connu tous les gens depuis avant leur naissance, où je vote et ou j'ouvre ma gueule pendant les réunions électorales.

Mémoires Charbonnier: ma mère Annette Vaillant 65

On connaît le "pretium doloris", mais quid du "pretium tristitiae" ? 

Les assureurs m'ont donné trois sous forfaitaires, plus voleurs que les voleurs souples et trop malins pour être honnêtes. Quand bien même j'aurais réussi à leur extorquer la vraie valeur vénale de ces objets chargés d'histoire, de magie, de chaleur, il en allait de cela comme des décorations posthumes, des prises d'armes dans la cour des Invalides devant les cercueils alignés, ceints du drapeau cache-mort. Cela n'aurait pu ressusciter le témoignage d'amitié fugitive, mais violente, de Doña Rosario, les musiques et les jets d'eau, ni les parfums slaves et lointains de ces parents beaux et tristes, parfois...

Photo-journalisme, syndrome de Marrakech 66

NOVEMBRE 1996. UN AUTRE CAMBRIOLAGE, AU GOUT RITUEL

Jeudi 21 Novembre 1996, 16 heures 30. Je sors de chez moi. Arrivé à Saint Paul, l'horreur ! Je n'ai pas d'appareil. J'ai laissé le M6 sur mon bureau; cela ne m'arrive jamais.

Mémoires Charbonnier: Leica M6, Cartier-Bresson 67

En 1954, débarquant à Koweït de l'avion des Middle East Airlines, mais cette fois l'appareil prêt autour du cou, à peine lâché sur la place principale de Koweït City, je vois arriver une admirable femme voilée, en noir, drapé sublime, avec, sur la tête, une vieille Singer à taille fine, le tout se découpant sur un fond blanc brûlé de soleil.

Vitrine, gri-gri, bibelots, souvenirs 68

Et que fait sur ma table le petit dromadaire en pierre acheté à Marrakech en honeymoon semi-clandestine avec Nichr'Ni (prononcer NirrNi) en 1983, normalement posé sur la tablette du radiateur en face de moi avec les quelques gris-grigolos que voici?

Shiva, Bouddha et le 2ème cambriolage 69

Le personnage principal de ce petit monde très personnel est une statuette en bronze, représentant Shiva. Citation vieux livre J.Ph. Ch. 1961..."En Mongolie Extérieure, le Grand Lama me donna rituellement son écharpe de soie bleue, merveilleusement passée: politesse, calme, gentillesse et quand même un clin d'oeil.

Plaisir, pudeur et toilettes publiques, 70

SAINT LAURENT DU MARONI - - TATAOUINE - - GOOD BYE !

Dans l'ordre décroissant, non des enjeux comme disent les chroniqueurs hippiques, mais des plaisirs nécessaires, il y a: "faire l'amour" = baiser. "Faire l'amour", formule épaisse et cucu à souhait, susurrée par des gens qui se croient distingués, délicats et précis,

Mémoires Charbonnier: Brin d'Amour, César, Sommières 71

1977. Sommières (Gard), je zigzague dans la vigne ancestrale des Jouanen, la vigne de l'oncle Léonce; fils de chaudronnier, dessinateur technique remarquable, distillateur, bouilleur de cru, original, il habita, voyant venir la mort, à l'ombre parfumée du tilleul, le charmant mazet au milieu des tonneaux. Sa lecture favorite était celle, intégrale, du dictionnaire.

Je cherche un "petit endroit" discret, bucolique, avec vue, sous le cerisier, et en même temps je cherche des morceaux d'assiettes, de carreaux, de soucoupes, de bols cassés, en hommage-plagiaire à César, le plus grand sculpteur moderne du XXème siècle. César Baldaccini, un copain drôle et généreux, en avait bavé, vendant, avec peine, ses dessins à la terrasse d'un Sénéquier de moins en moins branché, à Saint Tropez. 

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