Café du Flore et Brasseries Lipp, 9


CUFF-LINKS N°1

Aussitôt que l’on prend le risque délicieux de s’enfoncer dans l’enfance, on tombe rapidement sur l’amusante question, à la réponse sans fin, trou noir céleste où les parallèles se rejoignent, dit-on, à l’infini, fruit défendu, QUESTION : « LA RAISON POURQUOI ? »
Le moindre événement de la vie, la moindre naissance, sont engendrés par au moins un fait antérieur, lui-même conséquence de la ramification partouzarde d’autres faits. Et ainsi de suite. C’est une progression géométrique à raison croissante, un flash-back vertigineux et passionnant, où curiosité et patience sont primordiales. On ne répètera jamais assez que « Tout est dans tout, et réciproquement » (Mr. G.dixit)

Malgré leur indispensable et légendaire opiniatreté, les généalogistes, s’agissant de Mr. Ouatsissném (What’s his name) butent totoutar sur des vides. Certes, s’agissant de nobles personnes dont les ancêtres peu fidèles allèrent attraper des bêtes au lit des Infidèles (XIème siècle), on peut descendre  assez loin  - on dit aussi remonter, bizarre ! – Mais on n’arrive jamais jusqu’au pied de la Croix, ni dans de miraculeux et frais sous-sols pharaoniques. 

Cette recherche est finalement assez simple, si laborieuse, et peut, comme on dit, présenter un certain intérêt certain. Mais il est autrement passionnant de reconstituer l’enchaînement de faits totalement futiles et, pris isolément, totalement inintéressants, qui découlent d’autres, à reculons, et donc s’expliquent les uns les autres.

Exemple : pourquoi Pascal, le très professionnel et légendaire garçon du café de Flore, vous a t’il apporté un tilleul-menthe, alors que vous lui aviez demandé une verveine ? Simple étourderie, non, un peu de fatigue en fin de service, non, « rien à foutre », non, pas du tout le genre ; tout simplement un souci fulgurant a traversé sa tête au moment de votre commande. 

Quel souci ? Sa femme, ayant été prendre le train pour aller en Auvergne voir sa sœur souffrante, il se demande si elle a bien pensé à confier la clez à la voisine pour le plombier qui doit venir réparer une chasse d’eau.

Le chœur : « Cette histoire n’a aucun intérêt ! » - « Erreur, esprits superficiels. » Comme disait Edouard Vuillard : « Les gens sont comme les poules, ils ne voient que ce qui brille ! » 
Attendez, visite guidée: l’Auvergne, évidemment, Pascal, comme Boubal, son cher patron, comme Monsieur Roger (Cazes, le patron de Lipp, et tout le personnel de sa brasserie), et la majorité des bar-tabacs, bistrots, restaurants et anciennement bois-charbon, est Auvergnat.

Et c’est pendant l’exode de juin 1940 que Pascal a, tout naturellement, atterri, trouffion démoralisé, au Trioulou où il a connu sa femme qui, elle, avait été chassée de Saints-du-Nord par l’avance foudroyante de la Wehrmacht. Quant au plombier, c’est un copain rital, rencontré dans un troquet de pêcheurs à la ligne des bords de Marne, un peu « canzonetta tchi tchi ! », il a peut-être oublié ( ?) 

Et ce rital, d’où c’est ki sort cui-là…c’est un déserteur de l’armée italienne d’occupation, un genre anar mou etc etc et vous trouvez que c’est pas amusant tout ça ? Même si c’est un rien romancé.

Cherchez la première raison apparente de n’importe quelle action, ici l’excuse secrète et non formulée du pudique Pascal, et la pelote de laine, tirée par un chat invisible et facétieux se dévide, et l’histoire du monde y passe, entièrement. Affolant. Négligeant au passage la pomme d’Isaac N. vous arriverez d’une manière parfaitement cohérente à la porte de service du Paradis, celle par laquelle entrent les livreurs (de pomme), déguisés en serpents.

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