Guerre 14-18: fort de Douaumont, Verdun 56

1916. Ernest, François, Amédée Anselin est maintenant Général. Comme tous les Officiers supérieurs affectés à Paris, en vertu du système du "tourniquet", il doit quitter le Ministère de la Guerre et aller au front. La cavalerie qui est son arme naturelle, n'ayant guère à faire dans la bataille de Verdun, en particulier à Douaumont, il reçoit le commandement de la 214 ème Brigade d'Infanterie, de Chasseurs à pied.


Le 25 Février, le fort de Douaumont tombe. Dès lors, le plateau, le village et les abords du Fort seront pris et repris par dix fois en dix mois. Français et Allemands s'affronteront sur un champ de bataille qui ne ressemble plus à rien, ravagé, aux arbres déchiquetés par un déluge de feu volcanique. Ces lieux devenus virtuels entourent Verdun écrasée, assiégée, abandonnée mais qu'il faut défendre coût que coûte. Monumental symbole certes, mais si Verdun venait à tomber, tout le bassin parisien serait menacé.

Depuis les terribles attaques déclenchées le 23 juin par six divisions allemandes au nord de Verdun, et victorieuses dans le secteur de Thiaumont, Fleury, Damloup, le Général Anselin participe, sous le haut commandement du général Mangin, à toutes les actions visant à reconquérir, "à tout prix", le terrain perdu. En juillet et août, les Français reprendront l'avantage, et fin octobre prépareront l'assaut final par d'intenses bombardements.

Nous sommes alors bien loin du chaud soleil presque joyeux, illuminant les régiments de Lyautey "and his famous moroccan boys", des embuscades rusées dans le djebel, des inquiétants fortins en terre battue, trop silencieux pour être honnêtes, des charges héroïques aux longues ombres du soir, des sangs arabes, roumis, berbères, qui s'échappent des blessures pour disparaître, ensemble, dans le sable ou dans l'oued.

Avec l'autre vie exemplaire, celle de l'Oncle Anselin, le "Two stars General", grâce à l'ILLUSTRATION, et ses effrayantes images, noires et tragiques, croquées "sur le motif" par l'intrépide Georges Scott, et les exceptionnelles mais injustement  ANONYMES photographies de ses reporters, nous entrons brutalement, dans un paysage dantesque d'une insoutenable désolation où des cadavres par milliers meurent, une deuxième fois, abandonnés, sans nom, seuls, dans la boue froide, la vermine. 

Nous entrons dans un monde lugubre, crépusculaire, éclairé jusqu'à l'horizon par un extravagant serpent de 3000 camions, tous phares allumés: ceux de la relève qui partent, ceux des renforts qui montent, autre "tourniquet" non-administratif, sans fin: un camion toutes les seize secondes. C'est la "Voie Sacrée" imaginée par Pétain pour soulager ses troupes.

C'est un monde noir apocalyptique où des murs de cadavres empilés servent d'abris à des fantassins frigorifiés, affamés, qui ne pensent plus...qui sont en sursis...Sur les pauvres visages des survivants, après la peur et l'horreur, se figent la résignation et l'hébétude. Et pourtant, ils trouveront encore en eux des forces surhumaines pour repartir à l'assaut, au son du clairon, baïonnette au canon, à la boussole, dans le brouillard, et qu'ils seront des héros victorieux.

"Aucune bête au monde..."dira le Général Bigeard. Parlait-il de 1914, 15, 16, 17, 18, de Stalingrad, de Guadalcanal, de Monte Cassino, d'Omaha Beach, de Berlin, de Luzon, d'Iwo Jima, de "No name Ridge" en Corée, de Cao Bang, de Diên Biên Phu, des sanglantes collines d'Algérie, de "Yankee Papa 13" de Larry Burrows ????

Toutes ces saloperies de guerre, même combat !

Le 23 Octobre, au coeur de l'ultime combat, pour la reprise du Fort, le Général Anselin avait dit, simplement, de ses soldats: "l'enthousiasme des hommes est émouvant" sans point d'exclamation. 

Le 24 octobre, à 10 heures du matin, dès le début de l'action, une heure exactement avant l'assaut final pour la reprise du fort, le Général sort de son P.C. pour aller à l'attaque en 2ème ligne, accompagné de son officier d'ordonnance, le Capitaine Cuny (Sancerrois).

...Du Capitaine, déchiqueté par un obus, on ne retrouvera qu'un bras...Le Général, lui, est tué par une multitude d'éclats d'obus dans le cou. Dans l'ambulance, un médecin fit de vains efforts pour le sauver: le Docteur Georges Duhamel, 32 ans, jeune écrivain, qui, lui, serait immortel en 1935, jusqu'en 1966, et au delà.

Il avait cinquante-cinq ans. Il ne vécut ni ne vit cette victoire à laquelle il avait pourtant intensément contribué avec sa brigade qui avait devancé toutes les autres troupes.

Un étendard du Sacré-Coeur brodé et exposé par son épouse rassurée et sans angoisse, ne l'avait malheureusement pas protégé.

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