Mémoires Charbonnier histoire Côte d'Azur 25

Aussi et ainsi apprécierai-je pleinement, longtemps après, une phrase historique prononcée à mon intention par un homme que je ne connaissais, lui aussi, que par le tableau de Max Ernst, décrit plus haut, Philippe Soupault. Lors de mon arrivée à Brazzaville en 1951, il me lança, du haut du perron de l'hôtel des Fonctionnaires où il m'attendait: "Doctor Livingstone, I presume ?"

Non-sense, suite. Vendredi saint, 15 avril 1865. Au théâtre Ford de Washingston, on joue "Notre cousin américain". Au 3ème acte un comédien, fanatique esclavagiste, John Wilkes Booth, saute dans la loge d'Abraham Lincoln et le tue d'un coup de revolver dans la nuque. Le directeur du théâtre, demande alors, dit-on, à la first Lady, Mrs Mary Todd Lincoln: "Apart from that, Mrs Lincoln, how did you find the show?" La pièce était, par dessus le marché, médiovre.


Vous n'y couperez pas: Cohen et Lévy se promènent ensemble dans le rue. Lévy est renversé par un autobus. Il est mort. Cohen se précipite pour prévenir la femme de son mari. Il frappe à la porte, on ouvre, et il dit à la dame: "Vous êtes bien Madame Veuve Lévy ?" - "Comment ça, Veuve ?" et Cohen de lui dire:"Vous pariez?"


Autrefois, les gens "IN" disaient: "On ne va pas à Saint-Tropez, on y revient." Et transition habile d'animateur de radiodébutant, cela nous amène à mon plus vieux souvenir d'enfant.


Nous habitions donc, vers 1924, dans une jolie maison tropézienne ombragée, "Les Orangers", dans la baie des Canoubiers. 

A cette époque, cela était facile à trouver; les rapaces de l'immobilier ne s'étaient pas encore emparé du somptueux héritage du Bailli de Suffren et n'avaient pas encore fabriqué des faux vrais mas provençaux roses au milieu des vignes et des garrigues, avec pergolas, tomettes cirées, tissus arlésiens et joli vieux puits à écho, totalement à sec depuis beau temps, mais prestement rempli...par une charitable citerne.


Leurs pareils, à moins que ce ne soit encore eux, en moon-boots "éditent" en montagne des théories de faux vrais châlets savoyards en béton, recouvert de bardages en mélèze, sapin, ou, comble du chic en red cedar du Canada. Le toit, lui, est, en ancelles, ou, comble du chic (bis), en cuivre. En 74 ou en 83, les apparitions de multiples Saintes Poutres, dorées-grillées-brûlées, genre blouson U.S. Air Force-Chevignon, par l'âtre fumant, s'impose.


Dans ce Midi des années Vingt, les nouveaux arrivés que l'on n'avait pas encore fichés résidents secondaires, et, pourquoi pas inférieurs, comme le furent la Seine et la Loire, ne se croyaient pas obligés d'avoir l'air de priser, en fin connaisseur, le jeu de boules, ni d'y jouer. Le Méridional, lui, pur pastis, en casquette blanche Alibert, "tirait", "pointait", en silence, devant ses comparses statufiés, et tous tournaient, sans s'en rendre compte, et en en "faisant" quand même un peu beaucoup, un court-métrage inédit de Marcel Pagnol.


Quand mes parents et les Kisling allaient danser des galops au son du piano mécanique, chez "Palmyre", le bal d'Angèle Zippoli, en haut de Saint-Tropez, ils me confiaient, confiants, à Raymonde, la grande fille de Marie Maringue, au "Café de la Côte d'Azur", à la facade bleu ciel passé sur le port, à l'angle de la rue Allard.


Et je m'amusais comme un fou avec les siphons bleus clissés ou grillagés du café, bombes à eau magiques que remplacera plus tard la brutale eau métallique de Vergèze, dite source Perrier.


En ce temps-là les belles tartanes à voile, poussées par le vent, transportaient de la farine, des coraux, des billes de bois; les pêcheurs pêchaient les rascasses, les daurades, les loups et les mérous du golfe. Aujourd'hui, au marché aux poissons, on parle norvégien, c'est triste, mais c'est moins cher. Une certaine paresse immobilière a endormi les vieux marins, et les huiles usées des hors-bords empoisonnent la mer et sèment la mort.


En ce temps-là, assis par terre le long des quais les pêcheurs ravaudaient leurs filets en les maintenant avec leurs gros orteils. Leur port n'était pas saturé de yachts immobiles, collés les uns aux autres, parfois superbes, mais toujours méprisants, vissés au fond de l'eau comme le vase Lalique obligatoire débordant de gladioli géants est scotché sur la table en acajou de la plage arrière, devant le petit pont-levis à tapis de coco qui dit poliment: "Défense de monter à bord" - sous-entendu - "sales pauvres !"


Fiers voiliers, faits pour naviguer en haute mer surpuissants cabin-cruisers, dodelinant sans espoir, au piquet des bittes d'amarrage tant convoitées. Quelle ridicule parade d'argent connement utilisé, de faux bonheur aquoibontiste, d'inachevé car inachevable, d'exhibitionnisme inquiet et honteux, "has been" en blazer au faciès du bonheur satisfait de rigueur. Gênante et triste confrontation, avec la lente parade aux regards obliques qui mélange admiration et envie, aigreur et rigolade; dessins sans pitié de Forain, de Daumier, à bord...et de Sempé, à terre.

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