Mémoires Charbonnier: 1er cambriolage non élucidé 64

Lundi 21 mars 1994, T.G.V. 928, 23 heures 09, Gare de Lyon. Je rentre de ma chère Vallée, de mon cher village d'Argentière  (74400) où j'ai connu tous les gens depuis avant leur naissance, où je vote et ou j'ouvre ma gueule pendant les réunions électorales. Là, je connais les 870 électeurs, et nos élus; je ne suis pas comme à Paris un I/16464ème de IVème arrondissement. Là-bas, je connais mes parcours, avec ou sans neige, les yeux fermées. Je respire, je regarde, j'arrive même à me taire à l'intérieur de ma tête. Je ne me lasse pas d'être bien.

Horrible, cette gare, où errent, la nuit de pauvres hères, toxico-pochtrons, des voyageurs qui attendent un lendemain qui chante, faux, sur un siège fonctionnel en plastique moule-fesse.

Taxi rebeu, ..."à la prochaine, Inch'Allah!" Je ne monte pas jusqu'à mon sixième. Je m'arrête au premier chez celle que j'appelle toujours "ma camarade", pour embrasser mes chiens, mes chats, et la dame, et dîner...

Une heure du matin. Je hisse mon fourbi sur six étages. Il a plu sur le palier, le dernier, le vélux est ouvert et rabattu sur le toit. Tiens!? J'entre chez moi. Au compteur, je remets le courant que je coupe toujours en partant; rien ne s'allume; j'ai donc coupé l'électricité en croyant allumer, donc quelqu'un a manipulé le disjoncteur en mon absence. A lousy icy feeling. Je renifle un désordre qui n'est pas conforme. No doubt, j'ai été cambriolé. En effet...Toutes mes armoires à vêtement sont grandes ouvertes. Pas une des 128 cravates rangées par famille - club, cashmere, laine - n'a bougé. Pas une seule chaussure n'a disparu - 35 paires, mais à mon âge, et puis je permute et j'use peu, je cire... - Pas un costume, une chemise, ne manque. Bon. 
Le seul placard qui ferme à clef contient les appareils de photo, il est béant, serrure arrachée: LE Leica M6, encore une merveille de Leitz, cadeau de Kodak, a disparu, valeur 25.000 francs et tous les accessoires sont répandus alentour. Un collier de perles de culture gît par terre; un petit Olympus demi-format, excellent, mais valeur: rien, à été jeté sur mon bureau. Dans les placards bureaucratiques deux pots de confitures pleins de pièces de UN FRANC-DE GAULE ont été vidés, et la petite monnaie, raflée. 
Je retire en effet de la circulation, systématiquement et patiemment toutes ces scandaleuses pièces de UN FRANC, considérant que le Général méritait au moins une pièce de 10 francs, si ce n'est le billet de 200 francs sur lequel on avait failli imprimer les sales gueules de deux pétainistes notoires, parrains de la L.V.F. et voleurs d'inventions (photo en couleurs, et cinéma), les Lumière brothers.

Un bordel insupportable, l'impression d'un viol. Dix kilos de plâtras sur le sol de la salle de bain dont le vasistas et les barreaux sont arrachés. "ILS" sont passés par là, "ILS" devaient être plutôt minces, voire filiformes. Trajet simple: ILS montent au sixième, sonnent, personne, montent sur le toit par le vélux; la nuit, personne ne pouvait les voir marchant sur le faîte, et mon vasistas est parfaitement dissimulé par deux grandes cheminées.

Etrange, pas une trace de pas plâtreux sur la moquette. Etrange, ILS ont utilisé MES outils pour forcer LE placard à appareils; ils n'avaient pas pris la peine d'apporter les leurs, donc ils savaient qu'ils en trouveraient sur place, et dans quel placard.

Etrange, que faisait sur le toit, derrière le verre cathédrale retourné du vasistas de la salle de bains MA lampe-torche, normalement suspendue dans l'entrée ? Pour l'utiliser à l'aller, sur le toit, il fallait d'abord, sachant qu'ils en trouveraient une, qu'ils entrent chez moi pour la prendre, et s'ils avaient ma clef, pourquoi faire ce parcours malaisé sur le zinc douteux de la toiture ? Au retour, pourquoi ne pas utiliser cette lampe? POURQUOI, parce que le vélux ouvert, le vasistas de la salle de bains arraché, et le plâtras sont PURE MISE EN SCENE.

Enfin, et sans hésiter, ils sont allés droit au premier tiroir du semainier, n'ont pas soulevé une chemise, ni un petit sachet de lavande, de chez ma camarade. Ces acrobates, ces "Musidora" ressuscitées connaissaient parfaitement les lieux, ils me connaissaient, moi et mes rangements maniaques; ils savaient ce qu'ils trouveraient. Donc, je les connais forcément moi aussi, ces "rats d'hôtel" (=filous d'apparence mondaine, suivant un vieux Larousse). Exact, élémentaire mon cher Larousse. Oui mais, subtillissime camouflage, ce sont de faux monte-en-l'air: ils sont entrés chez moi avec une clef, et ressortis de même. Et voilà ! Avec l'effraction bidon, mes soupçons sont étayés davantage, oui mais dans quelle direction ? En tous cas, merci les malfrats, car sans effraction, assurance "oualou" !

Et bien entendu, après le passage des rats-éclair, il ne restait dans le semainier que le joli écrin de soie bleue, vide, avec la carte affectueuse de Doña Rosario, et les deux petites boîtes en carton, vides, elles aussi. Je m'aperçus, longtemps après seulement que l'ex-alliance de mon mariage N°1 s'était en-volée.

Curieusement, je ne pensais jamais à ce lien en or, brisé, petite couronne d'une union de quatorze années, défunte, mais j'ai détesté cette indiscrète grossièreté. Quant à la boîte Dunhill, ils ne l'avaient même pas ouverte. Alors, adieu chère petite montre à jamais arrêtée, jolis boutons de manchettes ! Je doute que l'on se revoit un jour.

J'étais pétrifié, triste, et en plus les chinoiseries flics-assurance allaient commencer. Côté poulets, pas question d'obtenir que les éventuelles empreintes sur les pots en verre vides soient recherchées en vue d'une éventuelle identification. En clair, z'en avaient rien à foutre de ce petit cambriolage à la con. Ce n'était qu'un vol de mobylette, d'auto-radio de plus à enregistrer sur la main courante. On a pris ma déposition, hein, fallait bien, pour l'assurance.

Et mes connards d'assureurs, eux, sans vergogne, m'ont demandé si j'avais les factures des choses de valeur... J'aurais du en demander une à la Duchesse de Lecera, c'est ce que l'on fait, n'est-ce pas, dans le distingué milieu des assureurs quand une duchesse ou un concierge vous fait un cadeau. Et dans les papiers de famille, à travers trois guerres, et quelques exodes, il est impensable que l'on ait pas conservé la facture établie au nom d'Adam Natanson, quand il acheta, à Paris, pour les vingt ans de son fils Léon les boutons de manchette et la petite montre. C'était il y a cent ans, en 1895, c'était hier, non ? Alors cette facture ?

Quels vicieux imbéciles, les mêmes qui vous font de la retape gluante par téléphone, et impriment l'essentiel de leurs contrats de merde en caractères plus petits que ceux des sinistres colonnes de cours de la Bourse dans le "Wall Street Journal".

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