Pierre Charbonnier, la Fortune enchantée 14

photo du film Fortune Enchantée de Pierre Charbonnier
  

Pierre Charbonnier, peintre et décorateur de cinéma (films de Robert Bresson), a réalisé un court-métrage d'animation, en 1936. Parmi d'autres films, il a été restauré et édité en DVD par le Centre national de la cinématographie. Le personnage féminin de "La Fortune enchantée" figure en couverture du catalogue.


Certes, mon père eut, comme première voiture une Ford Model T, sympathique phaéton élastique, robuste, facile à conduire (même par une femme, disait la publicité...) et bon marché (290$). Avec ses 4 cylindres, ses 2892 cm3, ses 2 vitesses + marche AR, elle atteignait 80 km/h. 



Exceptionnellement grise, elle était alors la 1 301 067 ème Ford T, et son confort plaisait beaucoup plus à une jeune mariée, mère de famille, la mienne, que, comme l'appelait un vieux Larousse "la voiturette accouplée à une motocyclette".

Redevenu jeune homme et flamboyant, entre des décors pour les Ballets Russes de Diaghilev, - qui disait à Jean Cocteau: "Etonnez-moi!" - et la publicité pour les Centrales électriques des Flandres et de Brabant, mon père eût, en Belgique, un cabriolet NashTwin Ignition Six (4 litres,75 cv) avec spider; ce roadster de fonction (!) violet plaisait bien à Boubou, une très gentille demoiselle flamande, aux yeux bleus. 



Elle rendit mon Père heureux jusqu'aux exodes espagnol, puis français. Elle était une "chain-smoker" de Chesterfield, même lorsqu'elle se brossait les dents. Elle avait une peur panique des masques, même simplement des mains collées sur la figure ??? 


Pour elle, à Noël, Papa mettait un smoking sur son chandail à col roulé de marin, pour aller souper, à minuit, au château; c'était drôle, ça lui allait bien, et c'était très "évident"; rien à voir avec les misérables ténors de la télévision, et leurs T-shirts blancs, en soie, sous leurs vestes de smoking, à deux fentes, de cavalier!

Inconfort (suite). Je suis descendu avec lui, en plein hiver, adossé à cette chère Boubou, assis à l'envers dans le cul-cigare d'une Amilcar CGS, 4 cylindres, genre Bugatti 59, donc bleue naturellement, dépourvue de capote. Nous allions dans la Drôme, gelés. Heureusement, à Sens, l'arbre de transmission est tombé sur la route et avons béni le P.L.M. bien chauffé. 



Je lui ai connu une ex-conduite intérieure Mathis, Type MY, anciennement 4 portes, laissée pour morte dans la cour du château de l'insouciant neveu de Gabrielle Chanel; il avait ressuscité le moteur, arraché la carrosserie pourrie, en faisant ainsi le torpedo-prototype au style très dépouillé avec laquelle Boubou, lui et moi montions fièrement au col de l'Aubisque (1704 mètres), vêtus de peaux de bêtes, biques et moutons, genre yak-alpaga, comme sur les photos historiques de Jacques-Henri Lartigue.

Consolation: les premières voitures de maître, du double-phaéton au landaulet, étaient toutes, également, des quatre-portes décapotables, avec un chauffeur ET un mécanicien. Mais la voiture de Papa, avec ses sangles, en guise de portières-garde-fou, sans vitres, ni la moindre capote, n'avait rien des Hispano de Deauville; elle était plutôt de la poétique famille des Chesterfollies de Gilles Margaritis.

Dans cette carrosserie sans carrosserie, très personnalisée, elle aurait parfaitement illustrée la pub des années Trente: "Mathis, la voiture qui a étonné l'Amérique!"...-"You bet!" Il a eu aussi une D.K.W. traction avant et a fini avec une triste FIAT, toute noire et toute fermée, avec une femme toute pareille...


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