St Tropez, Pierre Charbonnier, Mémoires 16


Mais la niaiserie, soudain, de charmante devient inquiétante: 1939-1940: "Nous vaincrons par ce que nous sommes les plus forts", "La route du fer est barrée", "On ira pendre notre linge sur la ligne Siegfried" scandé avec un optimisme forcené par Ray Ventura, "Tout ça ça fait d'excellents Français", chanson réservée aux réservistes par le Chevalier Maurice et sans reproche.


Sous "...et un Pernod pour Arthur!" pointaient déjà débâcle et capitulation, confortant l'opportunisme minable des Ducon-la-joie münichois.


Raison Pourquoi (suite). Pierre, mon Père, avait connu ma Mère, Annette à l'Académie Ranson, rue Joseph Bara, à Paris (VIème), dans la classe de Maurice Denis, où se trouvaient également Christian Bérard, dit Bébé, B, comme Bérard et B comme sa famille de Borniol...Les pompes funèbristes appréciés de tous, et aussi Yves Allix qui eut la bonne idée de participer au premier capital d'un copain pharmacien qui montait un laboratoire, un certain Monsieur Roussel...et quelques autres.


Courte visite historique guidée: Caïus Silvius Torpetius, brillant officier romain converti par Saint Paul, acte d'abjuration aggravée assimilé à un refus d'obéissance à l'Empereur, fut "ipso facto" considéré et jugé comme un parricide. Néron n'étant pas du genre tolérant, le condamna à mort. Comme tout parricide, il devait être décapité, et son corps, sans tête, placé dans une barque vermoulue en compagnie d'un singe, d'un serpent, d'un coq et d'un chien, le tout poussé vers la mer. 
Habituellement le corps du supplicié était rapidement dévoré par ses compagnons de voyage, et la vieille barque pourrie, ainsi que les quatre convives, coulait bientôt, comme prévu, engloutie par les flots. Mais, pour notre chrétien-martyr sans tête, on ne trouva ni singe, ni serpent, mais seulement un coq joyeux et un bon chien pour l'accompagner dans son dernier voyage, sa seconde mort. 
Dans sa barque, sûrement protégée par Paul, Apôtre des Gentils, il dériva tranquillement, les bras croisés sur la poitrine, "Quousque fidelis", depuis l'Arno jusqu'à un rivage où il s'échoua le 17 mai 68, et qui devint Saint Tropez.


Mon père, curieux et attiré par ce port inconnu, et ces facades roses et dorées de l'autre côté du golfe, refusant les escarbilles du "Petit Sud", le train côtier à charbon, genre Jardin d'Acclimation, traversa à l'aventure, en bateau, sans coq, ni chien, mais avec sa tête et ses yeux. Quand il débarqua à Saint Tropez, il fut émerveillé. (Il découvrira identiquement plus tard le charmant village de Mégève, en fuyant au hasard l'écrasante beauté du Mont Blanc et le froid chamoniard.)

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